Notre-Dame-de la tuyauterie, verrue de l’art contemporain, l’usine à gaz… quels quolibets n’a-t-on pas lancé contre le Centre Georges Pompidou ? A entendre certains de nos élèves de cette année (l’un d’entre eux parle de « grande chaudière »), le bâtiment suscite encore du scepticisme. Comme les collections qu’il abrite, d’ailleurs. Aussi n’est-il pas vain d’y conduire nos hypokhâgneux, chaque année depuis dix ans, car la modernité provoque dédain ou rejet tant qu’elle reste inexpliquée.
La modernité ? Il serait sans doute préférable de parler des modernités car il est difficile de ranger sous ce concept trop commode les œuvres de Matisse, de Picasso, de Kandinsky ou encore de l’américain Rothko. Ces artistes ont certes en commun de remettre en cause un certain mimétisme de la représentation qui prévaut jusqu’à l’impressionnisme. Mais rien ne vaut le contact concret avec l’œuvre pour découvrir combien les peintres nous font découvrir la nouveauté de leur perception, mais aussi leur doute, voire leurs impasses et toujours leurs ambitions. Le caractère ouvert et vivant de leur travail : c’est sans doute cela qui réunit les peintres dont nous commentons les toiles.
Quelques exemples : malgré les promesses de soleil que son titre suggère, Porte-fenêtre à Collioure (1914) de Matisse, nous plonge dans un espace noir où tous nos repères euclidiens se dissolvent. Mais le peintre ne poursuivra pas dans cette voie quasiment abstraite et intègrera ses recherches dans de multiples représentations de fenêtres qui dialoguent avec la peinture de la Renaissance comme avec certains poèmes de Mallarmé qu’il connaissait par cœur. De même, un charmant tableau de Paul Klee (Port avec des voiliers) pourrait-il paraître simplement décoratif si on ne comprenait qu’il témoignait de recherches dans la représentation du mouvement grâce à la lecture de ses cours au Bauhaus. Et la philosophie n’est pas de trop pour faire saisir le rapport entre la douce oscillation de triangles sur fond bleu-vert et certaines idées de Spinoza sur la nature …
Nous n’avons cependant pas la prétention d’expliquer des tableaux, d’en épuiser les sens possibles mais simplement de faire percevoir le sérieux des recherches qui s’y expriment, l’engagement existentiel que ces œuvres incarnent et manifestent. Elles provoquent notre regard, le nourrissent et le changent. Quoi de plus réjouissant ? Les yeux de nos élèves sont souvent rêveurs en sortant de Beaubourg. Mieux, certains, après la visite, remontent au quatrième étage pour revenir à la source de ce qui les a émus, interloqués. Ils ne le savent sans doute pas, mais c’est ainsi qu’ils nous remercient le mieux.