LA VISITE DE PASCALE BORDET, CREATRICE DE COSTUMES DE THEATRE
Nous avons eu la chance de recevoir à Sainte-Marie, le 6 février 2023, Pascale Bordet, créatrice de costumes qui a reçu 2 Molières, a été nominée 11 fois, est chevalière des Arts et des Lettres, a reçu le prix Renaud-Barrault et le Diapason du livre d’art. Sa page wikipedia donne le détail des spectacles qu’elle a réalisés, dont Colombe d’Anouilh et Le Roi se meurt de Ionesco, qu’elle nous a présentés aussi à Sainte-Marie ces années-là.. Elle nous a transmis un témoignage particulièrement vivant et généreux, dont voici une trace, à conserver précieusement. Nous la remercions très chaleureusement.


Avec rien ; sans personne. J’étais incomprise là où je vivais, dans un milieu où il n’y avait rien, et je suis devenue très riche par mon travail. Enfant, je m’ennuyais ; alors je prenais des crayons et je dessinais. Assez vite, j’ai appris à coudre. Et puis j’ai découvert le théâtre, et c’est devenu une passion.
Je suis allée à Paris, et j’ai été engagée à l’Opéra pour un an. Je balayais l’atelier. Mon contrat a été renouvelé : quatre ans plus tard, j’étais devenue indispensable. Le théâtre, c’est ma vie.
Il y a des roses et des épines. C’est joli ? Non ! C’est intelligent ! Il faut de la volonté, de la ténacité, un apprentissage : je me suis accrochée ! Il faut beaucoup de disponibilité, de la chance, savoir encaisser les revers et avoir confiance en soi. Peu à peu, on acquiert de l’endurance.
Par exemple, il y a deux ans, on m’a proposé de monter un Goldoni jamais monté, Le chevalier et la dame, au théâtre de Nevers. 35 costumes à imaginer, pour des personnages évoluant à Venise au XVIIIème siècle. Le résultat semble facile, mais c’est le fruit de deux ans d’embûches : un budget à tenir, deux mois de crayonnés, une recherche sur la symbolique des couleurs, des tissus. Mon assistante, qui s’absentait à certains essayages, est finalement partie avec la caisse. Heureusement, une amie m’a épaulée pour finir ce que j’avais commencé. Et ça a été !
Je lis longtemps la pièce. On ne fait pas de vrais costumes d’époque : on évoque une époque (pour Goldoni, le XVIIIème siècle) à travers une autre époque (la nôtre). En effet, on n’a pas les mêmes corps, ni les mêmes tissus qu’autrefois. Les comédiens transpirent, sous la rampe, se cognent parfois ; il faut des costumes solides. Les comédiens acceptent ou refusent les costumes. Puis on les fabrique. Trois essayages, et le travail sur le plateau. Deux ans de travail, c’est rare ; mais après le covid, les tissus n’arrivent pas. L’obstacle, c’est un signe pour que je fasse mieux. Les claques m’ont fait donner plus et mieux ; l’échec fait progresser. Il faut beaucoup apprendre, beaucoup désapprendre, et trouver sa propre voie de création. J’ai beaucoup appris dans les livres, les films, les musées.

Dans la grande famille du théâtre, je me suis trouvé des parents qui m’ont appris à mieux me servir du langage pour exprimer mes émotions. J’ai fait des rencontres qui m’ont émerveillée, des gens que j’ai admirés : Danielle Darrieux, Jean Piat, Michel Bouquet. Plus tard, Jean-Claude Brialy, Sara Giraudeau… J’ai commencé à une époque où on était très exigeant. J’ai beaucoup reçu. On apprend la patience, le sérieux et l’originalité en se formant, en structurant sa pensée ; on se fait comprendre, on comprend. L’endurance et l’admiration, ça élève !
Le site de Pascale Bordet :
Quelques livres de Pascale Bordet :
- Habiller l’acteur, Actes Sud
- La magie du costume, Actes Sud, 2008. Photographies de Laurencine Lot (ancienne de Sainte-Marie)
- Cahiers secrets d’une costumière de théâtre, HC Editions 2012. Photographies de Laurencine Lot.
- Splendeur et misère d’une costumière, HC Editions, 2018.
- L’ami Brialy, prince des dandys, Hugo Image 2022.